Tatiana Werner & Xavier Mauduit
Nous, les dindes
Lu par : Tatiana Werner, François Tavares, Bénédicte Charton
Nous, les dindes
Lu par : Tatiana Werner, François Tavares, Bénédicte Charton
Ça y est, nous y voilà. Après toute une vie d’impatience et d’ingurgitation. D’espérance obstinée. Bon sang, je suis si excitée que j’en ai la chair de poule... enfin Noël, le vrai Noël !
Évidemment, vous ne pouvez pas vous en rendre compte vous, vous avez certainement pris l’habitude : le tohu-bohu des marchés couverts, le fumet des marrons chauds si délicat, les bavardages mielleux et le froissement jubilatoire du papier kraft.
Mais si vous saviez la pression que c’est d’être le clou du spectacle. Ce que ça demande en rigueur et en capacités d’adaptation. Ah, Il y a des fois où je préfèrerais presque être à la place de certaines de mes congénères...
Enfin non, qu’est-ce que je raconte, un peu de dignité voyons ! N’allons pas jusque-là. J’espère que vous me pardonnerez cette suffisance un peu étriquée, mais selon moi dans ce monde impitoyable, il y a deux catégories de personnes.
Au premier rang, il y a la volaille de batterie, le hard discount, les pilons maigrelets, les escalopes, les cordon-bleus, bref, la petite friture dont les aspirations ne vont guère plus loin que le bout du bec.
Et puis, dans un registre hautement plus sophistiqué, il y a nous : les dindes de Noël, les sélectionnées, celles qu’on sous-pèse scrupuleusement, qu’on subodore, celles qu’on mire avec convoitise et lèchements de babines.
Et il se trouve que cette année, j’allais enfin être choisie... Mais laissez-moi vous raconter.